Le système politique libanais : classes sociales et lutte de classes

AvatarRedha Hamdan07/05/2021
Le contexte actuel est flamboyant. Tout est possible. Et pourtant l’ombre de l’impossible apparait. Mais, le changement est une certitude historique. Alors expérimentons-le !

De quel changement parlons-nous ?
Le changement est une dynamique qui reflète la transition d’un point initial vers une situation finale. Par conséquent, il faudrait tout d’abord répondre à la question suivante : quelle est la situation initiale ?
Le diagnostic permet de comprendre cette situation initiale. Voici l’objet de cette étude. Celle-ci tente également de mettre en perspective la dynamique nécessaire au changement. Le diagnostic est nécessaire, mais son utilité réside dans son action pour le changement.

Comment diagnostiquer la situation actuelle du Liban ? Avec quels outils ?
Pour cela, je m’aventure et je tente d’appliquer, pour la tester, une grille de lecture, tellement rejetée pour diverses raisons, souvent idéologiques et rarement scientifiques : l’analyse en termes de classes sociales ou luttes de classes.

Expérimentons ces outils.

L’étude est composée de trois actes. Le premier présente les principaux acteurs. Le deuxième les met en scène et analyse leur jeu théâtral. Le troisième annonce les principales déductions de l’histoire.

Mais avant de se lancer dans l’étude, il faut préciser certaines limites. Tout d’abord, cette étude est elle-même dynamique, c’est-à-dire qu’elle a encore besoin de développement, de démonstration détaillée ou chiffrée, de vérification, et de critique. Elle ne peut rester un travail individuel. La traduction de ces conclusions en actions pratiques et palpables sur le terrain n’est certainement pas un travail solitaire. Par ailleurs, cette étude doit rester modeste dans ses ambitions, puisqu’elle reste incomplète, mais il m’a semblé utile de la partager et de la rendre publique afin d’accélérer son développement ou sa déconstruction.

Acte I : Présentation des principaux acteurs

L’analyse en termes de « classes sociales » permet d’identifier – à priori – quatre classes sociales : la classe rentière, la classe bourgeoise, la classe moyenne et la classe prolétaire. Cette première partie, présente succinctement les principaux acteurs de la société libanaise.

La classe rentière
Elle est constituée des rentiers qui ont, à fur et à mesure de l’histoire du Liban, formé, façonné et enraciné ce système politique communément appelé « l’état confessionnel ».
Pourquoi classe rentière ?
Car elle ne produit rien. Elle ne fait que s’approprier les ressources du pays, au nom d’un leadership « confessionnel ».
Cette classe rentière profite-elle de ce système politique ?
C’est évident. Ce système politique, c’est-à-dire cet « état confessionnel », est le système idéal qui permet de pérenniser l’hégémonie de cette classe.

Il faut distinguer plusieurs sous-segments dans cette classe rentière : ceux qui ont historiquement façonné ce système politique, ceux qui se sont rattachés à ce système politique durant des périodes spécifiques historiques, et ceux qui, tels des champignons, se sont agglutinés profitant de ce système pour devenir des « rentiers-économiques ». Tous s’agrippent à ce système, tel un mamelon qu’ils tètent pour exister.
Pour simplifier, trois sous-segments composent la classe rentière :
La classe qui a historiquement dominé sous forme de féodalisme, telles les quelques dizaines de familles féodales (toutes ont été installées par les puissances successives qui ont historiquement dominé le Liban). Ce segment de la classe dominante rentière sera nommé : les « Rentiers Féodaux ».
La classe qui s’est imposée au sein du pouvoir rentier par la force des choses, la violence. N’étant pas historiquement issue du féodalisme, elle fonde sa domination sur la base d’une représentativité confessionnel de facto. Je nommerais ce segment de la classe dominante rentière, les « Nouveaux Rentiers ».
La classe économiquement rentière, grâce à son alliance ou son jumelage avec les autres rentiers (féodaux ou nouveaux), ne peut être mieux illustrée qu’ainsi : « vous facilitez mon action de pompage économique, je finance votre sangsue politique, et tout cela au nom de l’économie libérale et de l’équilibre confessionnel ». Elle est principalement composée du secteur bancaire et financier, et des oligopoles qui dominent certains secteurs-clés de l’économie libanaise. Je nommerai ce segment de la classe rentière, les « Rentiers Economiques ».

La classe rentière, composée de ces trois sous-segments, ne représenterait que 1% de la population résidente au Liban.

La classe bourgeoise
Elle se positionne comme étant le moteur des forces productives du pays. Elle cherche à créer de l’activité économique, des emplois, du savoir et donc de la richesse. Elle tente de détenir les moyens de production, c’est-à-dire le capital et le travail. Elle en détient une partie. La partie que la « classe rentière » lui accorde.

Cette classe a historiquement tiré son épingle du jeu au sein de « l’état confessionnel ». Or, la faim (jamais rassasiée) de la classe rentière, la corruption, la crise de confiance économique, et l’instabilité politique sont les principaux facteurs de sa dégringolade. La classe bourgeoise recherche les moyens de sa survie.

Il est possible de distinguer plusieurs sous-segments dans cette classe : les grands producteurs, les professions libérales et les petits entrepreneurs.
Les grands producteurs (les industriels, par exemple) ont besoin d’un environnement règlementaire, législatif et institutionnel serein afin de pérenniser leurs investissements. Sans un interventionnisme étatique, ils ne pourront subsister dans ce contexte concurrentiel mondial. L’absence d’une vision à long terme soutenant le développement de cette économie réelle et créatrice d’emploi est flagrante. La classe rentière qui détient toutes les manettes du pouvoir n’a aucune vision, à part rendre durable leur hégémonie.
Les professions libérales incluent principalement les médecins, les ingénieurs et les avocats.
On distingue également une composante importante dans cette classe bourgeoise : les entrepreneurs et les petites et moyennes entreprises. Cette composante est majoritaire mais peu influente.

Cette classe productive, car vivant de et dans l’économie réelle, a besoin de confiance pour se développer. Il semble que la classe rentière ne lui assure plus un minimum de protection, que ce soit au niveau de sa « liberté » d’exploitation des ressources, qu’au niveau du contexte institutionnel (corruption, instabilité). La classe bourgeoise semble incapable de se déployer.

La classe moyenne
Qu’est-ce que la classe moyenne ?
En principe, c’est la classe que tous les chercheurs tentent d’identifier, de mesurer, d’analyser ou de décrire. C’est souvent la classe invisible mais essentielle pour le développement. C’est cette classe qui se fait exploiter tout en engendrant les forces pré-requises au développement (par exemple le capital humain).

La classe moyenne évolue dans le temps, bien plus que les autres classes. C’est d’ailleurs dans cette classe que l’ascenseur social est le plus actif : promotion, succès ou réussite, et voilà que l’individu, donc le ménage, se considère bourgeois ou rentier ; choc exogène, faillite ou chômage, et voilà le ménage qui tombe dans la misère. Les classes moyennes, dans les pays européens par exemple, détiennent une large protection sociale (santé, éducation, logement) contre ces chocs exogènes. Au Liban, « l’état confessionnel » n’assure pas cette sérénité sociale. Cela est-il voulu ? Evidemment, car l’accès aux services publics doit rester conditionné à la soumission aux rentiers. Sans allégeance, l’ascenseur social ne risque pas de fonctionner. Et si allégeance il y a, l’ascenseur social risque de ne jamais arriver.

L’identification des sous-segments suivants, à l’intérieur même de la classe moyenne, semble possible, sur la base de la formalité du travail. Car, effectivement, la classe moyenne n’a que la vente de sa force de travail pour subvenir à ses besoins. La vente de la force de travail peut avoir lieu formellement ou informellement. Les employés formels sont principalement les employés du secteur public. S’y ajoutent un certain nombre d’employés du secteur privé travaillant principalement dans les moyennes et grandes entreprises. A cet égard, il faut noter l’influence qu’a la classe rentière sur les emplois du secteur public, principalement dans les positions clés de l’administration publique. Et donc, il faudra tenir compte, là où il le faut, de la relation emploi/allégeance qui existe entre la classe rentière et une partie de la classe moyenne. Etant formels, ces employés détiennent, grâce aux luttes sociales répétitives qu’ils ont effectué, un minimum de protection sociale. Je nommerai ce sous-segment de la classe moyenne, « la classe moyenne formelle ».
« Les employés informels », deuxième sous-segment que je nommerai « la classe moyenne informelle », sont fragiles face aux chocs exogènes. L’absence de protection sociale due à leur informalité, les rend facilement vulnérables.

La classe moyenne a beaucoup changé depuis la guerre civile. Les politiques économiques successives (qui se ressemblent toutes d’ailleurs) ont fini d’achever sa « grandeur » d’antan, c’est-à-dire son pouvoir d’achat et son niveau d’éducation. La classe moyenne, dans sa chute, se déchire. Des contradictions jaillissent. En effet, la classe moyenne formelle serait favorable à des réformes, alors que la classe moyenne informelle serait plus radicale. C’est la différence entre garder espoir et espérer tout changer.

Une rapide estimation indique qu’en 2018, avant l’entrée dans la crise, 55% de la population résidente au Liban appartient à la classe moyenne. Cette estimation ne prend pas compte de l’impact des multiples crises auxquelles le Liban fait face depuis 2019.

La classe « prolétaire »
Qu’est-ce que la classe « prolétaire » ?
Ce sont les individus/ménages qui, pour pouvoir subvenir à leurs besoins essentiels seulement, n’ont que leur force de travail à vendre. C’est la classe sociale qui est constituée de ménages qui survivent. Ils exploitent la majeure partie de leur temps à tenter de récupérer un revenu qui leur permet de subsister, de rester en vie. Être prolétaire c’est être démuni. Dans le jargon des Nations-Unies, ils sont plutôt nommés : « les vulnérables », « les marginalisés » ou les individus/ménages qui se trouvent sous le « seuil de pauvreté ». Il existe d’ailleurs deux seuils : la ligne haute et la ligne basse de pauvreté. La ligne basse représente le revenu minimum qu’un ménage doit avoir pour se nourrir uniquement. Alors que la ligne haute du seuil de pauvreté représente le revenu nécessaire pour exister, autrement que par la nourriture. Avant 2019, la classe prolétaire représentait environ le tiers de la population.
Indépendamment du profil de pauvreté auquel ils appartiennent, certains développent des stratégies de survie particulières : se vendre, corps et âme, à la classe rentière. En échange de cette loyauté de survie, la classe rentière leur assure le minimum vital. Ainsi, pour certains, leur vie dépend de leur soumission. Se libérer de ce joug signe leur acte de mort.

Acte II : La stratégie des principaux acteurs
Cette deuxième partie tente de mettre en scène les acteurs. Quelles sont leurs stratégies ? Leurs objectifs ? Quelles relations ont-ils les uns avec les autres ? Après avoir présenté les acteurs (les classes sociales) dans la première partie, cette partie étudie la dynamique du jeu de scène (la lutte de classe).

Conscience politique (La personnalité)
La classe rentière possède une conscience politique, elle domine, elle est hégémonique et elle en a conscience. Elle façonne les règles du jeu, ou du moins elle le croit, puisqu’en réalité les règles lui sont imposées.
La classe bourgeoise possède une conscience politique et sait défendre ses intérêts. Elle a su tisser des liens forts avec la classe rentière. Cependant, son réseau au sein du pouvoir devient de plus en plus marginal, de moins en moins central. Elle en prend conscience. Elle le subit. Que faire : subir et se taire ou agir ?
La conscience politique de la classe moyenne diminue lorsque sa vulnérabilité économique augmente. Théoriquement ces deux volets sont les deux facettes d’une même pièce, d’une même lutte. Sauf que la première (conscience politique) s’inscrit dans une lutte à long terme, alors que la seconde (vulnérabilité économique) s’inscrit dans le court-terme, dans l’urgence. Pratiquement, l’émigration (lorsque cela est possible) touche fortement cette classe en devenant une solution rationnelle au problème de vulnérabilité économique. En émigrant, la lutte cesse.
La classe prolétaire développe des stratégies de survie en total contradiction avec leur intérêt de classe. Ainsi, son unique filet de sauvetage, malheureusement, c’est de devenir protecteur de la classe rentière. Mettre de côté sa conscience politique lui permet donc de survivre.

L’origine de la crise actuelle (Le décors)
La crise actuelle est le résultat d’un problème structurel. Certains la ramènent à quelques mois ou quelques années. C’est faux. La crise économique et sociale que nous vivons aujourd’hui est la conséquence directe des politiques économiques et sociales appliquées depuis la fin de la guerre civile. On pourrait alors dire que ce sont ces politiques qui sont à l’origine de cette crise. Également faux. Car ces politiques ne sont pas là par hasard. Elles servent l’intérêt de ceux qui la mettent en application. C’est bien la classe rentière qui élabore ces politiques économiques et sociales et qui l’applique pour leurs propres intérêts. Mais alors, qui a mis en place cette classe rentière ? Le système. Ce système « confessionnel » permet à la classe rentière d’être hégémonique et donc lui permet de mettre en place ces politiques qui lui servent. La crise est donc une crise de système politique. Ce n’est ni une crise exceptionnelle ou contextuelle, ni une crise économique et sociale conjoncturelle ou passagère. C’est une crise cyclique, systémique et donc structurelle. C’est une crise génétique du système « confessionnel ». La solution à la crise actuelle nécessite une réponse radicale, c’est-à-dire un changement de système et non un changement de politiques économiques ou sociales. La crise est cyclique car elle se produit répétitivement dans l’histoire du Liban. Elle peut prendre une multitude de formes, c’est vrai. Mais elle se répète. Les seules constantes dans cette équation sont le système politique et la classe rentière. Comment sortir de la crise ? Changer radicalement de système politique et abolir les avantages de la classe rentière afin qu’elle disparaisse.

Les responsabilités (Les costumes)
Qui porte le chapeau ?
Evidement la classe rentière, dans toutes ses composantes (les rentiers féodaux, les nouveaux rentiers et les rentiers économiques). Il va de soi puisque le système politique est conçu pour elle. Cependant, elle ne l’a pas conçu. Elle en est incapable. En réalité, elle est là pour permettre aux forces régionales et internationales de garder les cartes en main et un pied au Moyen-Orient. Ce système lui convient à perfection. Elle joue donc le jeu. C’est-à-dire : tout en profitant de ce système pour perpétuer son hégémonie, son existence dépend d’ailleurs. La classe rentière détient les clés de l’État (pouvoir politique, législatif et répressif) et de l’économie. Mais elle ne contrôle pas son destin. En outre, des luttes internes existent au sein de la classe rentière. En effet, les forces qui composent les rentiers féodaux se battent pour augmenter leur pouvoir. Ils savent que, selon les règles du système, il leur est interdit de prendre tout le pouvoir. Ils savent aussi qu’ils ne peuvent pas être mis hors-jeu. Dans cette large marge de manœuvre, ils se disputent le pouvoir, sans jamais tout gagner, ni jamais tout perdre. Dans ce jeu de yo-yo, et afin de renforcer leur position relative au sein de cette classe hégémonique, toutes ces composantes font appel à des jokers : les forces géopolitiques régionales et/ou internationales. Ceux-là même qui ont mis les règles du jeu. La classe rentière aspire-t-elle à changer les règles ? Jamais de la vie. Elle accepte, comme son destin, sa dépendance pour autant que son hégémonie est perpétuée. Au cours de la jeune histoire du Liban, certaines composantes ont tenté de transgresser ces règles et aspiré à tout gagner. Ils se sont vite brulés les ailes et ont sagement rejoint le troupeau. Personne ne gagne. Personne ne perd. Si vous l’acceptez alors carte blanche, dominez mais uniquement dans cette marge de manœuvre. Une fois cette règle assimilée, son hégémonie est assurée. Elle deviendrait presque « éternelle » lorsqu’elle s’associe avec la composante des rentiers économiques. En effet, les rentiers économiques fournissent le carburant à cette classe politique, leur permettant de financer leur hégémonie politique et sociale, au nom du confessionnalisme. En échange, les rentiers économiques surfent gaiement sur la vague de la bulle économique et financière. L’hégémonie de la classe rentière est boostée par ce couple diabolique : le premier soumet l’Etat et pompe ses ressources, l’autre finance cet appareil étatique et engendre des profits qui font saliver les plus grands capitalistes du monde. Au départ, ce sont les classes moyennes et prolétaires qui ont payé le prix fort. Mais rapidement, la classe bourgeoise se voit mise de côté aussi. L’appétit insatiable de la classe rentière va mener à sa perte. Etonnement, les règles du jeu établies dans ce système « confessionnel » ne permettent pas aux composantes de la classe rentière de s’éliminer mutuellement, mais aucune règle n’a été établie pour interdire à la classe rentière d’anéantir les autres classes. Le système est tellement efficace qu’il va mener à sa perte. Un arrêt cardiaque est à prévoir pour ce glouton.

La classe bourgeoise a historiquement bénéficié d’avantages succulents au sein de ce système. Or, récemment, cela ne fonctionne plus. La classe bourgeoise souffre : non seulement l’économie rentière rend toute compétitivité impossible, mais la corruption, le clientélisme et les autres forment d’hégémonie de la classe rentière finissent de l’achever. Porteuse d’un idéal capitaliste pour le développement, les prérequis du capitalisme sont bafoués. Dans le système « confessionnel », le capitalisme porté par la bourgeoisie productive ne peut se développer. Ce système devient par conséquent un obstacle structurel pour l’épanouissement de la bourgeoisie. D’où son intérêt pour le changer. En a-t-elle conscience ? Il semble que oui. En a-t-elle les moyens ? La bourgeoisie porte en elle deux responsabilités : elle a tout d’abord relativement profité de ce système, et elle a toujours ajourné l’affrontement et enfoui son aspiration au changement. Profiter du système et ajourner l’affrontement sont les principales responsabilités qui lui incombent. Elle a toujours cohabité avec l’hégémonie de la classe rentière. Jusqu’à quand ?

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Il faut aussi être objectif et faire porter à la classe moyenne et prolétaire une part de responsabilité. Toutes les deux n’ont pas su, jusqu’à présent, mettre en œuvre des forces visant a accéléré le changement. Que ce soit à cause d’un manque de conscience politique ou d’une incapacité à se transformer en force de changement ou d’un sentiment de désespoir, ou pour une autre raison, peu importe, ces classes ont permis d’éterniser ce système. Or le temps a un cout. Actuellement, le cout du changement est gigantesque. Dans les années 90s, il aurait été moindre. Au milieu du siècle dernier le cout aurait été acceptable. Demain, le cout sera astronomique. Chaque jour qui s’écoule, chaque minute qui passe, le cout du changement augmente et les fruits du changement tarderont à apparaitre. Plus le temps passe, plus le cout est douloureux et plus la récolte sera tardive.

Ce système n’est pas éternel, c’est évident. Ce système tombera, c’est une certitude, car tout change dans cet univers et dans l’histoire c’est-à-dire au cours du temps. Rien n’est immuable. Le changement est non seulement une nécessité mais une vérité, une certitude historique et scientifique. La question qu’il faut se poser c’est : quand cela arrivera-t-il, comment et à quel cout ?

La notion de Temps (L’Eclairage – La lumière)
Il est intéressant d’analyser la notion de Temps chez les différentes classes. La classe rentière et hégémonique détient les clés du temps. Elle l’arrête pour rendre sa position immuable. Le temps ne doit pas avancer, l’histoire ne doit pas suivre sa dynamique de développement. Tout reste figé, autant que possible. La classe rentière détient l’art de perdre du temps. Toutes ces actions le démontrent : élire un président de la république, effectuer des élections, mettre en place les réformes, présenter le budget, nommer un premier ministre, et former un gouvernement, etc. Les autres classes n’ont, pour l’instant, aucune ou peu d’influence sur le Temps. Ils subissent l’arrêt du temps imposé par la classe rentière. Tout le monde attend. Les premiers attendent pour éterniser leur hégémonie, les seconds par désespoir ou incapacité à faire avancer le temps. Il suffit de constater ce que le monde a fait en trente ans après le seconde guerre mondiale (de 1945 à 1975), et ce que Liban a fait depuis la fin de la guerre civile durant trente ans (1990-2020). Le temps a couru pour les uns et resté figé pour les autres. Est-ce une coïncidence ? Non, c’est voulu. C’est vital pour la classe rentière, et criminel pour les autres classes. Des générations entières passent dans l’histoire du Liban, sans être vues, sans laisser d’impact. Les classes s’y habituent. Tout le monde attend en croyant que l’horloge va enfin fonctionner correctement grâce aux forces « d’ailleurs », grâce aux forces de l’au-delà. Or, il faut savoir que cet ailleurs, lui-aussi, se contente d’arrêter le temps tant que cela lui profite. Et cela n’est pas seulement une caractéristique libanaise, mais régionale. Cette attente est pathétique.
Deux obstacles majeurs peuvent expliquer la non mobilisation des classes bourgeoises, moyennes et prolétaires : la prise de conscience de la nécessité de débloquer l’Histoire, et la capacite à le faire.

Emergence des contradictions (La performance théâtrale)
La crise structurelle qui prend la forme, actuellement, d’une crise (en partie) économique permet de dévoiler des contradictions qui sont longtemps restés enfouies. J’entends par « contradictions » les conflits d’intérêts entre les classes ainsi que les conflits d’intérêts au sein d’une même classe sociale. L’analyse en termes de « lutte de classe » permet de distinguer ces contradictions.

Contradictions entre classe rentière et classe bourgeoise
Comme cela a déjà été mentionné, les intérêts de chacune de ces deux classes commencent à diverger. Le système actuel, bénéfique à la classe rentière puisqu’il lui permet de mettre en place son hégémonie, est devenu un obstacle majeur (et le restera) pour le développement des intérêts de la classe bourgeoise. Celle-ci ne peut plus déployer ses outils capitalistes au sein d’une économie productive, car la classe rentière détruit systématiquement tous les prérequis au bon développement du capitalisme. Elle croit pouvoir cohabiter avec ce système et trouver sa place. C’est un leurre. La classe bourgeoise doit prendre conscience qu’elle fait face à un problème systémique. Car le système actuel, dans ses gènes, ne peut permettre un tel développement. La classe bourgeoise est son ennemi de classe le plus dangereux. D’une part, l’économie rentière interdit le développement d’une économie productive capitaliste. Et de l’autre, la classe rentière ne peut permettre de perdre son hégémonie au profit de la classe bourgeoise. La classe bourgeoise doit prendre conscience que son épanouissement n’aura lieu, probablement, que lorsqu’elle détruira ce système. Les réformes du système ne la sauveront pas. Cela ne fera que retarder l’échéance. Seule sa destruction le fera. En a-t-elle conscience ? A-t-elle la volonté de le faire ? En est-elle capable ?

Contradictions au sein de la classe rentière
Au sein de la classe rentière, deux contradictions majeures apparaissent : les conflits entre les rentiers féodaux et les rentiers économiques ; et les conflits d’intérêts entre les « rentiers féodaux » eux-mêmes.
La crise actuelle et la panique dans laquelle s’est retrouvé la classe rentière à la fin de 2019 a mis en évidence un affrontement féroce entre les rentiers féodaux et les rentiers économiques. Le couple a failli se briser. Les tensions dans un couple engendrent des rejets de responsabilités. La crise actuelle a ébranlé les fondements du système et risque de remettre en cause leur hégémonie. Qui en porte la responsabilité ? Les politiques étatiques sont mises en cause par les rentiers économiques, alors que les rentiers féodaux pointent du doigt les bénéfices astronomiques engendrés par leurs bailleurs de fonds. Chacun cherche à se déresponsabiliser, et pourtant leurs responsabilité jointe est prouvée : l’un ne peut exister sans l’autre. Mais voila qu’une fissure apparait.

Contradictions entre soumission et nécessité de survie
Il existe une opposition théorique, sur une base sociale et économique, entre la classe rentière et la classe prolétaire. Mais comme cela a été expliqué précédemment, alors que la classe prolétaire a tout intérêt à se rebeller contre la classe rentière qui est responsable de son oppression et de la situation dans laquelle elle se trouve, celle-ci semble rester inerte. Sa conscience politique semble aveuglée par sa condition socio-économique (jusqu’à quand ?). Le court terme prend le dessus sur le long terme, et par conséquent elle attend. La patience sociale, phénomène individuel et collectif, permet la survie de cette classe. Sa dépendance est démontrée, mais cela ne lui permet pas de rester en vie. Seule son allégeance à l’hégémonie rentière lui fournit un rallongement de survie. En a-t-elle conscience ? Politiquement conscience ? Une fraction de la classe prolétaire seulement le sait. Mais la grande majorité est engloutie par sa vulnérabilité quotidienne, par l’urgence de ses besoins auxquels la classe rentière répond partiellement en échange de sa soumission. Souvent, sans se rendre compte, la classe prolétaire non seulement accepte cette hégémonie qui est la cause même de sa condition, mais toujours en croyant bien faire, se positionne en avant-garde de la défense de la classe rentière, sous des bannières différentes mais fondamentalement identiques : la religion, la confession, le clan, la famille. Elle ne prend que trop rarement la défense du bien public et commun, de l’Etat, de la notion de citoyenneté, et de son intérêt de classe. Cet aveuglement idéologique peut paraitre immuable, éternel. Et pourtant l’histoire montre le contraire. La prise de conscience politique de la classe prolétaire, c’est-à-dire prendre conscience de ses intérêts de classe et agir en conséquent, est essentielle pour que cette classe s’engage dans la lutte pour le changement. Mais son engagement peut se produire sans cette prise de conscience. Si la classe rentière tombe, ou avant même qu’elle ne s’écroule, la classe prolétaire cherchera à mettre en place des mécanismes d’allongement de vie (pour ne pas dire de survie). Autrement dit, la classe prolétaire n’est pas loyale à la classe rentière. Elle ne l’a jamais été et ne le sera jamais. Elle agit ainsi par instinct de survie. Pour résumer : les intérêts de la classe rentière et de la classe prolétaire sont évidemment en totale opposition. Or la classe prolétaire semble ne pas agir selon son intérêt théorique et souvent se positionne en premier défenseur de la classe rentière, car c’est ainsi qu’une partie de cette classe arrive à survivre. Même si c’est essentiel de travailler sur l’épanouissement de la conscience politique de la classe prolétaire, il semblerait que la classe prolétaire, indépendamment de sa conscience politique mais dépendamment de son expérience, serait la première à guillotiner la classe rentière, une fois celle-ci à genou.

Contradictions internes et externes
L’analyse s’enrichit lorsque la dimension internationale y est rajoutée. En effet, les forces géopolitiques régionales et internationales sont des acteurs majeurs dans ce jeu de lutte de classes. Il faut savoir que le système actuel est un système parfaitement adapté (fait sur mesure, « tailor-made ») pour favoriser les liens de dépendances avec les forces externes. Historiquement, ce système a été bâtit par ces forces. Il fonctionne tellement bien qu’ils cherchent à le dupliquer partout dans la région. Il leur permet de garder en main les ficelles des marionnettes. Quatre ficelles peuvent être identifiées :
L’hégémonie de la classe rentière dépend d’eux, car grâce à leurs interventionnismes (militaire, économique, politique) ils équilibrent les contradictions internes à la classe rentière.
Croyant bien faire, la classe bourgeoise aspire à cet idéal capitaliste. C’est un modèle à atteindre. La classe bourgeoise détient un respect religieux envers cet idéal capitaliste « d’ailleurs » et cela l’aveugle face à sa réalité historique : les forces « d’ailleurs » ont un intérêt flagrant à ce que ce système rentier se perpétue. Or c’est ce système-là qui empêche le développement de la classe bourgeoise.
L’inertie de la classe moyenne s’adapte et s’habitue, ce qui permet de perpétuer les intérêts de « l’ailleurs ». Le rôle des médias dans la constitution d’une « opinion publique » favorisant l’inertie mérite d’être étudiée. Cela devient particulièrement intéressant lorsque l’on sait qui détient ces médias. La classe moyenne, souvent sans le savoir, agit dans l’intérêt des forces « externes ». Croyant bien faire, l’une de ses stratégies de subsistance est l’émigration. Pas toute la famille, seul les jeunes. Cette classe se vide de son sang. L’émigration des jeunes et le non-retour au pays des jeunes diplômés ont un double effet : il ne permet pas de constituer une force interne, qualifiée, éduqué, aspirant au changement et devient une source de capital humain de grande qualité dans les pays où elle a émigrée.
La classe prolétaire, comme dans toutes les guerres, constitue une chaire à canons, facile, peu chère et souvent fanatiquement engagée sur des bases mensongères, c’est à dire religieuses. La pauvreté ne tue pas, c’est son exploitation qui le fait.

Acte III : Que retenir ?
Les forces géopolitiques régionales et internationales n’aspirent pas au changement. Elles tentent de jouer leurs cartes au sein même du système, afin de déstabiliser ou de rééquilibrer les rapports de forces. Mais jamais en vue d’un changement radical du système, car celui-ci leurs permet d’être présent sur le terrain de jeu. Si changement il y a, c’est uniquement pour pérenniser sa mainmise.
Premier constat : « l’ailleurs » n’a aucune volonté de changer une situation qui lui permet d’intervenir. Il peut vouloir l’améliorer. Mais, c’est dans l’intérêt de « l’ailleurs » d’affaiblir l’Etat et de couper toute possibilité de construire des liens directs (sans intermédiaires) entre le peuple et l’Etat.

Il apparait clairement que la classe rentière n’aspire pas au changement. Elle en vit. La classe rentière veut perpétuer sa domination, son hégémonie. Quel que soit le prix à payer. Par tous les moyens. Elle ne sait rien faire d’autre. Son unique production, en tant que classe rentière, c’est la domination. Elle vise l’hégémonie perpétuelle. Pour cela elle met en place une mainmise totale sur tout le système étatique. Seule, elle ne pourrait rien faire. Elle fait appel à des forces externes lorsque son hégémonie est en danger.
Ces derniers accourent, étant donné la première conclusion.
Deuxième constat : la classe rentière ne veut pas le changement et dans les moments critiques son sauveur est « l’ailleurs ».
Troisième constat : la classe rentière est l’unique classe sociale qui n’a rien à perdre si tout s’embrase. Elle est même capable de le provoquer. Elle peut procéder par étapes : commencer par cibler en priorité les forces du changement, puis mettre en avant la lutte confessionnelle et dissimuler la lutte de classes. Elle peut faire appel, ensuite, aux forces externes, avant de tout embraser.

Il semble, sur la base de l’analyse précédente, que trois classes sociales ont intérêt théoriquement à s’engager dans le processus du changement : la classe bourgeoise, la classe moyenne et la classe prolétaire.
Quatrième constat : les classes qui théoriquement aspirent au changement sont la bourgeoisie, la classe moyenne et les prolétaires. Un front commun, même temporaire, semble nécessaire.
La classe bourgeoise, pour pouvoir se déployer, fait face à un obstacle majeur : le système actuel.
Cinquième constat : la bourgeoisie doit s’engager dans le changement radical du système. Réformer le système actuel ne permet pas son épanouissement.

La notion du concept « Temps » telle que vaincue par les diverses classes sociales indique que l’urgence incombe aux forces voulant le changement.
Sixième constat : le temps a un cout et ce sont les classes qui aspirent, théoriquement, au changement qui en paient le cout. Ne pas agir est un acte de mort.

La classe moyenne semble la plus à même de tenir le flambeau du changement. Or, un phénomène parmi d’autres la gangrène : l’émigration. L’émigration, principalement des jeunes, est un facteur idéal pour, d’une part, neutraliser les forces vives de la société qui aspirent au changement et qui sont porteurs des outils nécessaires pour le réaliser. Et d’autre part, pour boucler le cycle de l’économie rentière (encourager la consommation grâce aux transferts d’argent, et freiner l’économie productive en favorisant la consommation à l’investissement et en réduisant l’offre de travail qualifié). En période de crise, le phénomène migratoire touche également la classe bourgeoise et génère les mêmes conséquences. L’émigration au sein de la classe prolétaire prend une toute autre forme. Elle est clandestine et mortifère.
Septième constat : L’émigration pérennise le système. La classe rentière l’encourage pour cesser la lutte et purger la société des élément indésirables.

La classe prolétaire est porteuse de violence. En effet, toute souffrance, si elle n’est pas convenablement traitée, engendre une perte de rationalité et à terme justifiera toute réaction violente qui devient inévitable. Contrairement à la violence de l’oppression qu’elle subit depuis des décennies, violence qui n’apparait pas à l’œil nu, violence lente mais qui perdure dans le temps, violence de l’ombre et pourtant porteuse d’une injustice féroce, la violence de sa libération sera foudroyante (rapide, et certainement visible). Or, ce n’est pas parce qu’elle est trop voyante qu’elle devra choquer les âmes sensibles et la rendre incompréhensible. Tel un ressort trop comprimé, en sautant elle rendra la même énergie d’oppression sous-jacente et accumulée. Elle a subi une violence de l’ombre, elle la rendra sous les éclairages. Elle a subi une violence lente et longue, elle la rendra en un éclair. Elle a subi une violence systématique et structurée, elle la rendra probablement aveuglement.
Huitième constat : Rien ne se perd tout se transforme, même l’énergie violente de l’oppression. La classe prolétaire est clairement ce ressort qui sautera tôt ou tard. La violence absorbée sera de toute évidence rendue. Pourra-t-elle être canalisée ? La violence est un court-circuit historique : elle peut accélérer le changement ou bruler le laboratoire social.
Neuvième conclusion : l’hégémonie de la classe rentière est de l’ordre du « Criminel ». Le système politique actuel a créé un Etat criminel qui assassine son peuple d’une manière préméditée.

Cette étude démontre que la crise actuelle qui s’inscrit dans le registre des crises cycliques, est le reflet d’une crise d’un système, même si elle peut prendre l’apparence d’une crise conjoncturelle.
Dixième constat : la réponse à une crise systémique réside nécessairement dans un changement radical du système et non dans sa réforme ou dans un rééquilibrage « confessionnel ».
Epilogue

La classe rentière vit. La classe bourgeoise croit vivre. La classe moyenne cherche à vivre. La classe prolétaire meurt pour survivre.

La vie est tellement fragile individuellement, mais lorsqu’elle devient, et elle l’est devenue, une force de masse elle anéanti la mort.
Nous avons la chance de vivre un instant historique pour modeler notre propre histoire. Nous sommes au cœur du cyclone, alors agissons. Profitons de cette opportunité. N’ayons pas peur du ridicule. Osons. Et peut-être même plus.

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